750 grammes
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Le rendez-vous des gourmands

26 octobre 2017

Pourquoi faut-il aller au restaurant

Siu Maai de poisson faits maison chez Leoi Zai Gei 呂仔記
Shau Kei Wan, voilà un quartier de Hong Kong dans lequel je ne vous ai encore jamais emmené. Pourtant ce dernier ne manque pas d’adresses typiquement hongkongaises particulièrement intéressantes. Dans ce coin de l’île encore préservé, j’ai l’habitude de venir en famille pour de longues balades gourmandes au clair de lune. Il n’est pas rare que nous nous égarions chez 低調高手大街小食 pour de délicieuses gaufres aux œufs ou encore chez 紹華小廚 pour une généreuse marmite de riz. Mais, aujourd’hui, c’est du restaurant Leoi Zai Gei 呂仔記 dont j’ai souhaité vous parler. L’établissement a une longue histoire et sa réputation n’est plus à faire. Il est régulièrement cité dans les médias locaux comme l’un des meilleurs spécialistes du Siu Maai de poisson 魚肉燒賣, un plat emblématique de la cuisine de rue hongkongaise.

Premières Impressions :

Leoi Zai Gei 呂仔記 - Hong KongAprès un copieux repas de fruits de mer chez Yuet Wah Club, nous déambulons sur East Main Street, l’artère commerçante du quartier. Mon tonton gourmet nous indique la direction du Leoi Zai Gei 呂仔記 pour finir notre soirée. Le restaurant s’ouvre sur la rue avec deux étroits comptoirs en prise directe avec les cuisines. La décoration est inexistante. Néons pour parking étourdissants au plafond et tabourets en plastique en guise d’assises, pas question de faire le difficile. Et l’accueil n’est guère plus chaleureux ! Seules les innombrables coupures de magazines placardées aux murs amènent un semblant de gaieté. On y retrouve tout ce que Hong Kong compte comme critiques et journalistes culinaires. Leoi Zai Gei 呂仔記 étant l’un des derniers restaurants de la ville à réaliser des Siu Maai de poisson entièrement à la main, cela leur confère une couverture médiatique assez régulière. Les plus avertis auront même reconnu sur ma photo la star hongkongaise Raymond Lam (林峯 Lam Fuuuung pour les intimes). Ce chanteur/acteur adulé des jeunes filles qui m’avait à moitié percé un tympan lors d’un concert à Macao (n’en faisons pas mystère, j’apprécie aussi ce jeune homme) fait l’éloge de l’endroit. Pour lui, ce sont les meilleurs de tout Hong Kong !

La Carte :

Leoi Zai Gei 呂仔記 - Hong Kong

Ouvert en continu de 14h à minuit, Leoi Zai Gei 呂仔記 est en mesure de satisfaire vos envies salées comme sucrées. Les habitants du coin viennent ici moins pour faire un repas complet que pour combler un petit creux. Le rythme alimentaire à Hong Kong n’est pas le même qu’en France. Les hongkongais auront tendance à faire plusieurs petites collations tout le long de la journée plutôt que deux ou trois gros repas. Même lorsque les repas sont concentrés, ils se déroulent en plusieurs étapes. Le schéma classique, un en-cas de rue dans une petite gargote avant de se rendre dans un restaurant conventionnel pour des plats salés confortablement installé et la soirée se termine dans un troisième restaurant spécialisé dans les desserts.

Chez Leoi Zai Gei 呂仔記, la carte est courte avec seulement une vingtaine de suggestions bien senties. Un effort de concision à mettre au crédit du Chef qui ne s’écarte pas des préparations qu’il maîtrise et qu’il est capable de faire maison avec sa petite équipe. D’ailleurs, si vous reconnaissez les caractères 自製 Zi Zai (fait maison) sur une carte de restaurant, commandez toujours ces plats en priorité.

Même si tout est bon marché, les prix sont dans la fourchette haute (de 15 à 30 HKD). Les anciens iront jusqu’à dire qu’ils n’arrêtent pas de flamber et qu’il est invraisemblable de payer 28 HKD (~3.30 €) pour un modeste bol de dumplings à la ciboule 韮菜水餃 Gau Coi Seoi Gaau. Difficile de leur donner tord, l’inflation est au moins de 4 points par an depuis 2011. Sur la carte, les gommettes s’entassent pour afficher des tarifs perpétuellement supérieurs…

Le Repas :

Leoi Zai Gei 呂仔記 - Hong Kong

Rentrons dans le vif du sujet avec cette étrange soupe à la consistance sirupeuse. Dénommée 碗仔翅 Wun Zai Ci (18 HKD) pour Petit bol d’ailerons, elle n’est pas sans rappeler la traditionnelle Soupe d’ailerons de requin 魚翅 Jyu Ci que les chinois ont longtemps dégusté lors des grandes occasions. Le prestigieux bouillon a toujours été particulièrement onéreux et donc réservé à une élite. C’est pourquoi il a émergé de nombreuses imitations à travers le pays. À Hong Kong, c’est cette soupe Wun Zai Ci qui a permis aux plus modestes de faire illusion et de ne pas perdre la face, au hasard, à l’occasion du banquet de mariage de leurs enfants.

Le Petit bol d’ailerons n’a jamais eu la prétention d’avoir un intérêt gustatif. Dans les années 50, ce n’était qu’un ridicule mélange de sauce soja, d’amidon, de glutamate agrémenté au mieux de quelques vermicelles. Depuis une vingtaine d’années, cette soupe a beaucoup évoluée. Maintenant que la consommation de soupes d’ailerons de requin est très mal vue, que les autorités incitent fortement à ne plus en boire et que les restaurants les suppriment progressivement de leurs cartes, certains hongkongais sont à la recherche d’alternatives qualitatives. La fausse soupe d’ailerons de requin est ainsi préparée avec toutes sortes d’ingrédients comme des champignons, du porc, de l’œuf ou du poulet. Tous les produits sont effilochés ou coupés très finement en lamelles pour conserver l’aspect filandreux. Pour donner le change et la rendre plus haut de gamme, les Chefs ajoutent de la vessie de poisson, un autre des trésors de la cuisine chinoise mais qui lui n’est pas associé à des pratiques de pêche discutables.

Le Chef du Leoi Zai Gei 呂仔記 en a fait l’une de ses spécialités. Sa recette est particulièrement riche et délectable. J’y décèle une forte concentration de champignons parfumés, de haricots noirs, de poulet et de vermicelles de soja. Pour encore plus de sensations, vous pouvez opter pour la version complétée d’anguille fraîche. Par défaut, le Chef n’abuse pas du glutamate. Les clients en ajoutent à leur guise. Comme les français avec le sel, beaucoup de chinois ont le palais perverti par la poudre magique et sont réticents à s’en passer. On associe souvent le glutamate aux cuisines chinoise et vietnamienne mais c’est vite oublier que le succès de l’insidieux exhausteur de goût est le fruit d’influences étrangères. Les japonais qui ont été les premiers à synthétiser la molécule de manière industrielle ont été bien contents d’inonder la Chine occupée et asservie. De son côté, le suisse Maggi a profité de la colonisation française pour investir massivement le Vietnam. Aujourd’hui en Chine et à Hong Kong en particulier, un mouvement de fond est en marche pour faire disparaître le glutamate des cuisines.

Leoi Zai Gei 呂仔記 - Hong Kong

Sur le coin du comptoir mijote une imposante marmite de Boulettes épicées de poisson 辣咖喱魚蛋 Laat Gaa Lei Jyu Daan (18 HKD). Je n’y ai pas goûté mais elles semblaient tout à fait classiques. A priori, elles aussi sont faites à la main mais le doute persiste. Ces boulettes se dressent sur un pic en bois et se mangent simplement dans la rue.

Leoi Zai Gei 呂仔記 - Hong Kong

Venons-en à la principale spécialité des lieux, leurs fameux Siu Maai de poisson 魚肉燒賣 Jyu Juk Siu Maai. Une femme âgée les prépare dans un coin de la salle. Elle façonne la farce de poisson frais (vraisemblablement un cousin du bar) puis l’entoure d’une pâte à base de farine de blé et d’œuf. Je ne sais pas si c’est vrai ici mais, en temps normal, les bons cuisiniers ajoutent un peu de purée de courge jaune pour raviver la couleur de la pâte. Celle-ci est en tout cas d’un jaune éclatant ! À la dégustation, ces dumplings se révèlent très souples et moins caoutchouteux que les déclinaisons industrielles disponibles à tous les coins de rue. Le goût du poisson est assez subtil et a du mal à prendre le dessus sur celui de la puissante sauce. Bref, rien de transcendant mais le plaisir rare de manger un Siu Maai de poisson fait maison est bel et bien présent.

En arrière-plan, on remarque une boule de pâte translucide. Étonnamment, il s’agit de Dumplings style Chaozhou 潮州粉果 Ciu Zau Fan Gwo. Nous sommes très loin de ceux servis délicatement dans les honnêtes restaurants de dim sum comme le Pier 88, le Maxim’s Palace ou encore le Che’s Cantonese Restaurant. Nous sommes sur un dumpling street food plié négligemment mais pas forcément moins plaisant. La pâte est épaisse et légèrement granuleuse mais elle fond en bouche et se laisse oublier derrière une farce généreuse, croquante et parfumée.

Leoi Zai Gei 呂仔記 - Hong Kong

Pudding à la Mangue 芒果布甸 Mong Gu Bou Din

Leoi Zai Gei 呂仔記 - Hong Kong

Soupe de riz gluant noir, coco et sagou 椰汁紫米露 Je Zap Zi Mai Lau

Côté desserts, les préparations sont très copieuses mais assez peu soignées. Le pudding regorge de mangue mais ils ont mis le paquet sur le gélifiant. La soupe de riz gluant noir est plus réussie avec un riz abondant et bien cuit. Nous sommes tout de même loin de la finesse des desserts d’un Cong Sao Star Dessert.

Bilan :

Faut il y aller ? Leoi Zai Gei 呂仔記 est un restaurant brut de décoffrage. Aucune fioriture aussi bien dans la décoration, le service que les recettes. Pour autant, le souci d’authenticité est indéniable. Il faut se réjouir que des Chefs continuent de cuisiner dans les règles de l’art les grands classiques de la street food hongkongaise malgré la très forte pression économique qu’ils subissent. Si vous êtes dans le quartier, essayez impérativement leurs Siu Maai de poisson. Pour les curieux, tentez le coup avec le Petit bol d’ailerons, vous pourriez accrocher. En revanche, leurs desserts sont moins recommandables.

Avec qui ? Une bande d’amis.

Y retourner ? La prochaine fois, je prends à emporter.

La clientèle ? Des habitants et travailleurs du quartier. En soirée, ce sont plutôt des jeunes qui investissent les lieux.

C’est cher ? C’est là que le bât blesse. Ok les loyers sont chers à Hong Kong mais nous sommes à Shau Kei Wan et je trouve les tarifs un poil trop élevés. Le patron profite peut-être de sa bonne réputation. À décharge, il est possible de s’attabler et vous n’êtes pas contraints de déguster vos boulettes sur le bitume.

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26 octobre 2017

Gouter une oie rôtie

L’Oie rôtie chez Nang Kee Restaurant 能記燒鵝飯店 à Sham Tseng
Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong KongL’Oie rôtie (燒鹅 Siu Ngo) est une spécialité cantonaise qu’il est impensable de ne pas déguster à Hong Kong. Plusieurs restaurants à travers le territoire la réalisent à merveille. Certains, pourtant modestes, sont décorés d’une étoile Michelin et attirent en masse les touristes chinois continentaux comme Kam’s Roast Goose et Yat Lok Restaurant. À l’écart de l’agitation hongkongaise, il existe une enclave préservée où l’Oie rôtie est reine. À Sham Tseng, à l’ouest des Nouveaux Territoires, deux restaurants en particulier se livrent bataille depuis plus d’un demi-siècle pour le titre de meilleure oie rôtie du quartier et peut-être même de tout Hong Kong. Au 9 Sham Hong Road, Yue Kee Roasted Goose est la référence historique. Il est l’un des rares restaurants à bénéficier d’une licence pour cuire ses oies au feu de bois et son succès ne se dément pas depuis 1958. Juste à côté, Nang Kee Restaurant 能記燒鵝飯店 Nang Gei Siu Ngo Faan Dim fait office de solide challenger. Fondé en 1962, l’établissement est plus discret mais n’en est pas moins estimable. Après plusieurs décennies de bons et loyaux services, M. Lau vient d’en confier la direction à son fils David. Conquérant et ambitieux, il compte bien poursuivre la lutte avec son illustre voisin.

Premières Impressions :

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong KongIl est rare que le visiteur atterrisse à Sham Tseng par hasard. La station de métro la plus proche est à plus de 6 km. On accède à ce village coincé entre la mer et la montage uniquement par la route. Avec une petite dizaine de restaurants spécialisés dans l’oie rôtie, les hongkongais viennent spécialement de tout le territoire pour jouer des baguettes autour d’un volatile rigoureusement rôti. Point de départ des sentiers vers le Tai Lam Country Park, Sham Tseng est également le lieu de rendez-vous des passionnés de randonnée. Beaucoup s’offrent une pause gourmande avant d’entamer leur ascension.

Nang Kee Restaurant est connu des initiés mais l’affluence demeure bien plus impressionnante chez son concurrent direct. Ce dernier débite en continu un nombre ahurissant d’oies rôties sur place ou à emporter. Nous prenons ainsi place dans une relative sérénité au beau milieu de la terrasse couverte. Le jeune patron, fringuant et taillé comme un athlète, nous fait l’article et profite de ma présence pour bredouiller quelques mots de français appris pendant ses études en Europe. D’abord dans la finance, il a tout plaqué pour écrire une nouvelle page de l’histoire de cette belle affaire familiale.

La Carte :

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong KongL’oie rôtie est au centre de la carte. Il en coûte 428 HKD (50 €) pour une bête entière et 218 HKD pour une moitié. Les prix sont dans la moyenne basse de ce qui se pratique habituellement. Pour exemple, le voisin la facture sans état d’âme 500 HKD. Certains plats sont indexés sur le poids et le prix d’achat des matières premières mais nous faisons confiance au patron du Nang Kee Restaurant qui préfère satisfaire humblement ses habitués plutôt que d’entrée dans une course effrénée au profit. Les autres propositions sont tournées vers le végétal et les produits de la mer toute proche. Poisson vapeur au citron 檸檬蒸元朗烏頭 Ling Mung Zing Jyun Long Wu Tau, Crevettes à l’ail 蒜茸蒸中虾 Syun Jung Zing Zung Haa ou Champignons aux Brocolis 西蘭花扒雙菇 Sai Laan Faa Paa Soeng Gu, la carte fait honneur à la cuisine traditionnelle cantonaise. Une cuisine qui, lorsqu’elle est réalisée avec rigueur, parvient à faire rimer gourmandise avec légèreté et sobriété avec raffinement.

Le Repas :

Nous ne venons pas de crapahuter dans les montages environnantes mais mes cinq compères et moi avons une faim de loup. Notre visite du nouveau Tsz Shan Monastery à Tai Po nous ayant exagérément mis en appétit.

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

Début d’orgie tout en douceur avec ces Pattes de Poulet au Gingembre 沙薑鳳爪 Saa Goeng Fung Zaau. Souvent braisées ou cuites à la vapeur avec une abondance de sauce aux haricots noirs fermentés, je me réjouis de les voir ainsi subtilement cuisinées. Bien dodues et parfumées, leur peau gélatineuse croque d’abord un instant sous la dent avant de fondre littéralement en bouche.

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

Un repas chinois sans une soupe, c’est comme un morceau de fromage sans son verre de vin, y déroger laisserait un sentiment frustrant d’inachevé. Pas question de froisser mes acolytes hongkongais ! En plus, Le Chef propose une atypique soupe 淮杞鳳足燉螺頭湯 Waai Gei Fung Zeoi Dan Lo Tau Tong (128 HKD). Le bouillon est d’une clarté et d’un goût saisissants. Pattes de poulet, vessie de poisson, courge cireuse, pas évident d’identifier tous les ingrédients tellement ils sont restés longtemps sur le feu mais c’est délicieux !

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

Autre curiosité avec ces Gâteaux dorés de Racine de lotus 黃金煎藕餅 Wong Kam Zin Ngau Beng (60 HKD). Je n’en n’avais jamais mangé d’aussi généreux et luisants. Plat simple de maison, il prend ici une toute autre dimension. Je ne boude pas mon plaisir grâce à la finesse et au croustillant de la préparation. Passés à la friture plutôt que poêlés, ces gâteaux sont de fait un peu plus gras que la normale. Un excès largement compensé par d’autres plats du dîner.

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

Cette assiette ne paye pas de mine mais elle regorge de merveilles de la mer, calmar, anguille et même du 九肚魚 Gau Tou Jyu, un curieux poisson connu en occident sous le nom de Bombay Duck et associé traditionnellement à la cuisine indienne. Le tout est délicatement frit et assaisonné avec du sel, du poivre blanc et du piment, impeccable !

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

On commence à attaquer les choses sérieuses avec les Pétoncles, tofu et sauce aux haricots noirs 豉汁帶子蒸豆腐 Si Zap Daai Zi Zing Dau Fu (128 HKD). En plus d’être appétissant, ce plat incontournable de la cuisine cantonaise est digne de Gargantua. Il est tellement opulent qu’il en est déséquilibré. Les pétoncles sont de bonne taille mais les cubes de tofu sont disproportionnés. L’ensemble manque de soin et le tofu est trop ferme mais pour un restaurant de ce genre, il ne faut pas trop chipoter. La sauce est excellente et les pétoncles bien cuits, c’est bien là l’essentiel !

Nang Kee Chinese Restaurant 能記飯店 - Sham Tseng - Hong Kong

La bête tant désirée nous arrive rutilante et affublée de sa plus belle parure cuivrée. Cette oie n’a pas été choisie au hasard. Le Chef So les sélectionne dans un élevage réputée de Qingyuan dans la province du Guangdong. Elles sont élevées en plein air et nourries au grain pendant 90 jours. La prématurité de leur abattage par rapport à ce qui se pratique en France conduit les oies à un poids maximal de 2.5 kg. L’oie est ainsi moins grasse, plus affûtée. Sa musculature peu développée est aujourd’hui préférée pour le rôtissage à la cantonaise bien que ce ne fût pas toujours le cas par le passé. Le revers de la médaille est qu’elle ressemble fortement au canard après cuisson. Plusieurs restaurateurs hongkongais se sont encore fait épingler ces derniers mois pour avoir servi frauduleusement du canard (moins onéreux) en remplacement de l’oie. Une dérive honteuse qui contraint les gourmets à maintenir leur vigilance. Une oie rôtie dressée avec sa tête et son cou caractéristiques est un signe de transparence que les honnêtes cuisiniers ont pris l’habitude de réaliser.

Tant de détails comptent pour une Oie rôtie réussie. La composition de la marinade, la durée de macération, la taille et la température du four, le type de bois et même la météo (le taux d’humidité) ! Chaque Chef possède ses petits secrets et se garde bien de les dévoiler. Nang Kee Restaurant la cuisine dans les règles de l’art et possède lui aussi une licence pour la cuisson au feu de bois. Les mêmes fours sont en service depuis plus de 40 ans. Le résultat est à la hauteur de l’effort engagé par le Chef. La chair est juteuse, parfumée, peu grasse et parfaitement équilibrée avec la peau. La peau justement est incroyablement croustillante et sèche à souhait. Elle fait même de la résistance en bouche laissant ses saveurs boisées et anisées se dégager à mesure qu’elle se déchiquette sous les dents. Vraiment du beau travail ! À ce prix ultra-compétitif, on en mangerait tous les jours…

Bilan :

Faut il y aller ? Si vous aimez l’Oie rôtie à la cantonaise, il est impératif de vous rendre à Sham Tseng, son nid à Hong Kong. Dans le quartier, Nang Kee Restaurant est à mon sens la plus honorable maison. L’accueil et les lieux sont agréables, les tarifs et la fréquentation raisonnables et surtout l’Oie rôtie est fabuleuse et préparée avec le plus grand soin.

Avec qui ? Il faut venir en groupe pour partager une bête entière.

Y retourner ? Ça ne fait aucun doute. Pas question de faire la queue chez le concurrent à la stratégie marketing trop bien rodée, je resterai fidèle au Nang Kee.

La clientèle ? Des randonneurs, des familles, des chauffeurs de taxis.

C’est cher ? Le rapport qualité / prix est remarquable. Ici, on ne paye pas la devanture lumineuse flambant neuve ni l’emballage couvert de dorures, tout est dans les assiettes. Comptez environ 35 € par personne pour un copieux repas intelligemment construit avec oie, légumes, soupe et quelques fruits de mer.

26 octobre 2017

Manger sans commettre d'impair

Tout savoir pour aller manger des Dim Sum sans commettre d’impair
Alors que j’échangeais avec un camarade gourmet à son retour de Hong Kong, j’ai pris conscience qu’il n’était pas évident pour un occidental de comprendre de prime abord tous les rudiments de l’exercice du brunch à la cantonaise. Étape incontournable de tout séjour sur le territoire, le restaurant de dim sum possède en effet ses propres codes et la barrière de la langue n’arrange pas les affaires des visiteurs. L’idée de cet article est de partager les clés permettant de profiter pleinement de l’expérience sans commettre d’impair !

Savoir quand aller boire le thé

Les déclinaisons occidentales de restaurants vaguement cantonais et nos habitudes alimentaires conduisent beaucoup à penser que les dim sum correspondent à des entrées chinoises que l’on commande pour le début de son déjeuner ou de son dîner. La réalité est radicalement différente. Les Dim Sum 點心 (qu’il conviendrait de retranscrire par Dim Sam pour les français) sont des collations très diverses, frugales ou copieuses, salées comme sucrées, cuites à la vapeur, au wok, rôties ou encore bouillies imaginées et cuisinées dans l’unique but d’accompagner la dégustation du thé. Tradition gourmande originaire du Guangdong, cette dégustation de thé intervient à toutes heures entre le petit-déjeuner et le goûter. Elle est l’occasion de se retrouver entre collègues avant de partir au travail, entre amies pour partager les derniers ragots du quartier et surtout en famille pour un moment de convivialité transgénérationnel. Historiquement, les cantonais se rendaient dans des salons de thé appelés « 上茶樓 Soeng Caa Lau » mais ce nom a progressivement disparu. Aujourd’hui, il est d’usage de dire que l’on « va boire le thé 去飲茶 Heoi Jam Caa ». Par extension, on désigne par 飲茶 Jam Caa tout le rituel consistant à boire le thé et consommer des dim sum.

Tin Lung Heen Ritz Carlton Hong Kong

Ce préambule est là pour rappeler que pour succomber aux charmes des dim sum, il vaut mieux s’y prendre de bonne heure. Les horaires varient quelque peu en fonction du type et du standing des établissements mais les restaurants spécialisés à Hong Kong et dans le Guangdong les servent communément entre 6h du matin et 17h de l’après-midi grand maximum. Les plus populaires comme le Pier 88 ou le mythique Lin Heung Tea House seront les plus matinaux tandis que les plus cossus comme le Tin Lung Heen se contenteront d’un créneau restreint débutant autour de 11h du matin. Le Jam Caa est d’ailleurs une excellente solution pour découvrir des tables d’exception à moindre frais. En revanche, même si ces restaurants sont ouverts le soir, ils ne proposeront pas de dim sum à leur carte. Cette dernière changera pour le dîner et fera la part belle à d’autres spécialités cantonaises plus onéreuses. Gares donc aux frustrantes et assassines déconvenues !

Dim Dim Sum 點點心 Hong Kong

Précisons qu’il existe des exceptions. Depuis les années 2000, Hong Kong et d’autres villes asiatiques voient émerger des restaurants de dim sum d’une nouvelle génération. Portés par le succès d’enseignes comme Tim Ho Wan, ces nouveaux venus servent en continu une courte sélection de dim sum du matin jusqu’à tard dans la nuit. Ils sont d’abord là pour répondre à la forte demande touristique. Ils se veulent moins cérémonieux, plus dans l’air du temps et s’inscrivent dans un inéluctable phénomène d’occidentalisation des rythmes et usages alimentaires chinois. Ils restent encore une excentricité pour beaucoup de cantonais. Je force légèrement le trait mais manger des dim sum en fin de journée peut être jugé comme aussi incongru qu’un dîner français constitué de croissant, jus d’orange et café au lait. Pour autant, il ne faut pas croire que ces restaurants sont infréquentables, bien au contraire. Certains sont très décevants et leurs réputations surfaites mais d’autres peuvent se révéler particulièrement enthousiasmants. Je pense au hasard à Dimdimsum et même à One Dim Sum à Prince Edward qui a joui un temps d’une étoile Michelin.

Savoir demander une table

Débarquer la fleur au fusil dans un restaurant pour Jam Caa peut se transformer en grand moment de solitude. Les meilleures adresses sont prises d’assaut, surtout le weekend. Les salles sont immenses et grouillent de monde. Partez du principe que vous aurez à attendre avant de vous attabler surtout si vous êtes nombreux (mais aussi très peu nombreux). Les larges tables sont occupées des heures durant. Les petites pour deux personnes se comptent sur les doigts d’une main et sont reléguées dans les recoins du restaurant. Un serveur me dira un jour « Ça c’est les tables pour les Gwai Lou ! ». 鬼佬 Gwai Lou étant un terme péjoratif, pour ne pas dire raciste, désignant les étrangers à la peau blanche. Sympa.

Les uns sont venus à l’aube pour préempter une grande table, les autres vous passent sous le nez et rejoignent leur famille sur le tard, les enfants surgissent de sous les tables, les serveurs s’agitent dans tous les sens et les chariots quadrillent les allées à une cadence effrénée. S’y retrouver dans ce joyeux capharnaüm n’est donc pas toujours une partie de plaisir.

Pier 88 稻香超級漁港

Les restaurants les mieux organisés auront prévu salles d’attente, comptoirs, tickets avec un numéro de passage et autres écrans géants pour prévenir les heureux élus. Le groupe Maxim’s est un exemple du genre. D’autres ont une vision plus anarchique des choses mais il est tout à fait possible de s’en sortir honorablement à la condition de savoir répondre à une unique question !

Quelque-soit le cas de figure, l’interlocuteur que vous arriverez bon an mal an à interpeller vous lâchera systématiquement un expéditif : « 幾多位 Gei Go Wai ? ». Il faut comprendre par ces trois mots la question suivante « Bonjour Madame/Monsieur, combien de personnes êtes-vous s’il vous plait que je vous prépare votre table ? ». Comme vous êtes pour le rapprochement des cultures et que vous voyagez soucieux d’apprendre quelques rudiments du dialecte local, vous devrez vous fendre d’une des réponses suivantes :

一位 / Jat Wai (prononcez « Yat Waï ») / 1 personne
兩位 / Loeng Wai (prononcez « Leung Waï ») / 2 personnes
三位 / Saam Wai (prononcez « Sam Waï ») / 3 personnes
四位 / Sei Wai (prononcez « Seï Waï ») / 4 personnes
五位 / Ng Wai (prononcez « Mm Waï ») / 5 personnes
六位 / Luk Wai (prononcez « Lok Waï ») / 6 personnes
七位 / Cat Wai (prononcez « Tchat Waï ») / 7 personnes
八位 / Baat Wai (prononcez « Bat Waï ») / 8 personnes
九位 / Gau Wai (prononcez « Gao Waï ») / 9 personnes
十位 / Sap Wai (prononcez « Sap Waï ») / 10 personnes
Pour ceux qui ne sont pas à l’aise avec la prononciation ou qui ont juste des origines italiennes, vous disposez également de la possibilité de vous exprimer avec vos mains. Manque de chance, signer les chiffres est différent en Chine. Vous trouverez ci-dessous une indispensable illustration très facile à retenir avec tous les gestes permettant d’avoir la certitude de vous faire comprendre.

 

Savoir choisir le thé

Une fois assis, avant même que vous ayez eu le temps de consulter la carte ou de scruter les tables environnantes, il vous sera demandé de choisir le thé. Rappelons que c’est en principe l’objet principal de ce rituel cantonais. Les restaurants les plus haut de gamme auront une carte consacrée et vous laisseront un peu de temps mais dans la très large majorité des cas vous aurez à répondre à brûle-pourpoint sans plus d’information.

La question sera généralement formulée de la façon suivante : « 飲乜嘢茶 ? Jam Me Je Caa ? » (prononcez « Yam Mi Yé Tcha »). Il faut ici comprendre « Quel type de thé souhaitez-vous boire ? ».

Sans trop rentrer dans les détails aujourd’hui, les principaux types de thé servis dans les restaurants de dim sum sont les suivants :

烏龍茶 / Wu Lung Caa (prononcez « Wou Long Tcha ») / Thé Oolong
铁观音茶 / Tit Gun Jam Caa (prononcez « Tit Goun Yam Tcha ») / Thé Tie Guan Yin
水仙茶 / Seoi Sin Caa (prononcez « Seuil Sin Tcha ») / Thé de Narcisse
普洱茶 / Pou Lei Caa (prononcez « Po Leï Tcha ») / Thé Pu-Erh
香片茶 / Hoeng Pin Caa (prononcez « Heung Pin Tcha ») / Thé au Jasmin
菊花茶 / Guk Faa Caa (prononcez « Gok Fa Tcha ») / Thé de Chrysanthème
Vous n’aurez donc qu’à répondre par « 一壺 Jat Wu » (prononcez « Yat Wou ») suivi du nom du thé de votre choix. Le serveur vous apportera sans plus attendre une théière remplie et autant de tasses que de personnes à table.

Tin Lung Heen 天龍軒

Le choix du thé est d’abord une affaire de goût. Il n’existe pas de logique claire et partagée associant des thés à des familles de plats comme on le fait avec le vin. Retenez toutefois que l’on privilégiera un thé post-fermenté comme le pu-erh si le repas est gras et un thé semi-fermenté si le repas est plus léger. Les décoctions à base de plantes comme le thé au jasmin auront la préférence des enfants et des personnes peu habituées à l’astringence des infusions longues.

Le thé est facturé au nombre de convives quel que soit le nombre de tasses ingérées pendant votre repas. Il en coûte approximativement entre 10 et 30 HKD (entre 1.10 et 3.50 €) en fonction du standing de l’établissement et de la qualité des thés servis. Bien sûr, si vous optez pour plusieurs types de thé ou si vous réclamez de nouvelles feuilles, la note sera plus élevée.

Savoir décrypter la carte et passer commande

Les restaurants accueillant nombre de touristes ou situés dans les quartiers d’expatriés à l’ouest de l’île de Hong Kong disposent de menus retranscrits en anglais. Seulement, ils sont loin d’être majoritaires sur le territoire. Sans compter que si vous avez en tête de dénicher des adresses authentiques en dehors des sentiers battus comme je vous invite à le faire, il vous faudra vous y prendre autrement au risque de n’avoir que vos yeux pour pleurer devant une feuille de papier indéchiffrable comme celle-ci.

Dim Dim Sum 點點心 Hong Kong

Pour commencer, une carte de restaurant de dim sum répond à une classification bien précise. Même si chacun à sa manière propre de les présenter, on retrouve toujours des catégorisations par taille de dim sum et par type de dim sum.

La liste des tailles de dim sum est la suivante :

小點 / Siu Dim / Les petits Dim Sum
中點 / Zung Dim / Les moyens Dim Sum
大點 / Daai Dim / Les grands Dim Sum
特點 / Dak Dim / Les Dim Sum spéciaux
頂點 / Deng Dim / Les Dim Sum très spéciaux
Cette classification par taille est un moyen d’avoir une légère indication sur le caractère rassasiant d’un dim sum mais elle sert surtout à établir une échelle de prix progressive et simplifier la facturation. Chaque catégorie (et non chaque dim sum) a un prix donné. Dans cette même logique, les deux dernières catégories sont là pour signaler les dim sum particulièrement coûteux car élaborés à partir des produits plus prestigieux comme le pétoncle, l’ormeau ou le pigeon.

Tin Lung Heen Ritz Carlton Hong Kong

La liste des principaux types de dim sum est la suivante :

蒸點 / Zing Dim / Les Dim Sum cuits à la vapeur
炒點 / Caau Dim / Les Dim Sum frits
煎點 / Zin Dim / Les Dim Sum poêlés
腸粉 / Coeng Fan / Les Rouleaux de riz
粥 / Zuk / Les Bouillies de riz (Congee)
甜點 ou 甜品 / Tim Dim ou Tim Ban / Les Dim Sum sucrés ou desserts
Cette dernière liste n’est pas exhaustive, juste un dénominateur commun. Certaines cartes sont plus complexes et vont distinguer les dim sum végétariens, les dim sum créatifs, les riz sautés, les spécialités du Chef, les dim sum à base de produits de saison ou encore les dim sum associés aux festivités chinoises. Même si la maîtrise de cette classification n’est pas la panacée, elle reste d’une aide précieuse.

Dim Sum à Hong Kong

Pour aller plus loin, sans non plus apprendre par cœur tous les noms de dim sum, je vous suggère de mémoriser quelques caractères chinois traditionnels clés comme :

魚 / Jyu / Poisson
蝦 / Haa / Crevette
肉 / Juk / Viande
豬 / Zyu / Porc
牛 / Ngau / Bœuf
雞 / Gai / Poulet
包 / Baau / Brioche
餃 / Gaau / Ravioli
Ma dernière astuce secrète est d’utiliser une application mobile de lecture et de traduction instantanée du chinois. L’Hanping Chinese Camera fait des merveilles en la matière. Rappelez-vous que plusieurs dim sum traditionnels portent des noms poétiques qui ne donnent strictement aucun indice sur leur composition. Une recherche rapide sur le net se révélera indispensable.

Pier 88 稻香超級漁港

Si réellement vous avez une aversion pour les caractères chinois, votre salut ne pourra passer que par le présence de photos sur la carte ou de chariots dans la salle.

S’agissant des chariots ambulants, ils sont de moins en moins utilisés. Quoiqu’il en soit, le jeu consistera à attirer l’attention des serveuses et vous faire comprendre pour qu’elles vous montrent ce qu’elles ont à disposition dans leur roulotte à dim sum. Le temps de ces dames est compté et rares sont celles qui vont avoir la patience de vous ouvrir tous les paniers et vous laisser le temps de réfléchir. De plus, seulement une partie des dim sum sont accessibles de cette manière. Pour une sélection riche et éclectique, il sera indispensable d’en revenir aux conseils précédents.

Une carte se résume le plus souvent à quelques feuilles volantes disposées sur la table. Chaque table en compte plusieurs pour que vous puissiez passer commande autant de fois que vous le souhaitez. Nombre de restaurants proposent des dim sum différents en fonction de l’heure de la journée et donnent des indications à ce sujet sur leurs cartes. J’ai déjà passé 30 minutes à sélectionner savamment mes dim sum équilibrant la viande et le poisson, le sucré et le salé avant de me rendre compte que les 3/4 n’étaient pas disponibles à ce moment là…

Il ne vous reste plus qu’à indiquer en face du nom du dim sum la quantité souhaitée. Là aussi, il y a des pièges à éviter. Ne jamais faire de croix au risque de laisser penser que vous ne voulez pas de ce dim sum. Indiquez simplement le chiffre « 1 » pour une portion. Attention, le chiffre « 1 » doit être écrit avec un seul trait vertical. Écrit à la française, il sera pris pour un « 7 » et vous vous exposez à un déferlement de paniers non désirés sur votre table.

Savoir faire la vaisselle

J’ai déjà traité de ce sujet à l’occasion d’un article sur la consommation d’eau chaude à Hong Kong. Les hongkongais ont pris l’habitude de laver eux-mêmes assiettes, bols et baguettes avant de démarrer leur repas doutant de la propreté de certains établissements. Bien sûr, ce nettoyage est surtout réalisé dans les restaurants bon marché ou de rue. N’empêches que, même lorsque le restaurant parait irréprochable en matière d’hygiène, beaucoup continuent de s’adonner à ce curieux manège. C’est devenu un réflexe qui ne choquera évidemment personne et ne contrariera jamais les restaurateurs.

En conséquence, il ne faudra pas s’étonner de voir atterrir sur votre table une théière d’eau chaude ainsi qu’une grande gamelle. Elles sont exclusivement destinées à votre vaisselle. Chacun à ses petits trucs pour gagner en efficacité mais, en gros, la technique consiste à verser l’eau bouillante sur la vaisselle à l’aide de la théière et déverser l’eau souillée dans la gamelle. Ce n’est pas très compliqué mais cela peut prendre pas mal de temps !

Savoir choisir les sauces

Le nombre de sauces présents sur les tables des restaurants de dim sim peut être relativement conséquent. À disposition dans de petits bouteilles ou servis joliment dans des coupelles, ces sauces ont deux objectifs principaux. Le premier est de permettre de parfaire l’assaisonnement des dim sum selon son goût. C’est le cas de la sauce soja agrémentée de quelques graines de sésame que l’on ajoutera à sa convenance sur les Rouleaux du riz aux crevettes. Le second est de relever ou plutôt pimenter certains dim sum plus fades ou un peu trop gras. Dans ce registre, il existes plusieurs sauces et condiments très intéressants qu’il convient de détailler.

辣椒醬 / Laat Ziu Zoeng / Sauce pimentée
辣椒油 / Laat Ziu Jau / Huile pimentée
蒜蓉豉油 / Syun Jung Si Jau / Sauce soja à l’ail
XO醬 / XO Zoeng / Sauce XO (Sauce à base de pétoncle séché, jambon cru, ail, piment,…)
辣豆瓣醬 / Laat Dau Baan Zoeng / Pâte de tofu fermenté au piment
芥辣 / Gaai Laat / Condiment à la moutarde (ou wasabi)
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Ces différentes préparations ne sont pas toutes présentes d’emblée sur la table mais vous pouvez en faire la demande. La sauce et l’huile pimentées sont incontournables. Les autres sont proposées dans des établissements plus classieux.

Les Chefs accordent une importance croissante à la qualité de ces condiments. Ils les font maison et imaginent de nouvelles recettes originales ou s’associent à des artisans spécialisés de la ville. C’est ainsi qu’a été créée la sauce XO aujourd’hui largement répandue. Soyez vigilant car de plus en plus de restaurants facturent les sauces en supplément et pas de manière anecdotique. Quand la coupelle de sauce XO est au même tarif (35 HKD) que de savoureux Dumplings de Crevettes, il y a de quoi s’interroger.

Personnellement, je ne jure que par la diabolique huile pimentée que j’utilise à tort et à travers sur les mets à base de fruits de mer ou de viande. Difficile de vous établir une liste complète des associations les plus judicieuses avec chaque dim sum. Ce serait un travail de romain. D’autant qu’en la matière je prône la liberté quasi-totale !

Savoir demander de nouveau du thé

Dim Sum à Hong Kong

Il arrivera un moment pendant votre brunch cantonais où votre théière sera vide. Pour signaler que vous souhaitez la faire remplir, la pratique consiste à disposer le couvercle de la théière en travers. Les serveurs sur le qui-vive ne tarderont pas à s’approcher. C’est là qu’il sera nécessaire de dire « 加水 Gaa Seoi » (prononcez « Ga Seuil ») pour ajouter de l’eau chaude sur les feuilles déjà infusées ou alors « 加茶 Gaa Caa » (prononcez « Ga Tcha ») pour remplacer complètement la théière avec de nouvelles feuilles de thé.

Savoir dire merci

Pour faire le lien avec le service du thé précédemment évoqué, il existe en ces circonstances une manière bien spécifique de remercier la personne qui rempliera votre bol.

Une légende raconte que l’Empereur Qianlong sous la dynastie Qing était un grand voyageur et adorait parcourir son royaume à la rencontre de la population. Alors qu’il déjeunait incognito dans un restaurant, il fût impressionné par la dextérité du personnel en charge de la préparation du thé. Il voulut faire de même mais le résultat ne fût pas glorieux. Il se mit alors en tête de s’entraîner dans chacun des restaurants qu’il visiterait. Le problème est qu’il se retrouva à servir le thé aux gens de sa cour. Ces derniers devaient en principe s’agenouiller pour remercier leur Empereur mais il aurait été aussitôt démasqué. C’est ainsi que l’un d’entres eux eu l’idée de plier l’index et le majeur symbolisant une personne à genoux et de taper sur la table pour manifester sa gratitude. L’Empereur conservait son anonymat et les marques de révérence étaient respectées. Cette pratique a largement court aujourd’hui et vous verrez perpétuellement des chinois remercier leurs camarades de la sorte au restaurant.

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De manière générale, la phrase passe partout pour dire « Merci » est « 唔該 M Goi » (prononcez « Mm Goï »). Ces mêmes mots signifient aussi « s’il vous plait ». Ils peuvent donc être aussi employés pour interpeller poliment les serveurs.

Savoir se comporter à table

Pier 88 稻香超級漁港 Heng Fa Chuen

Les us et coutumes sur les tables chinoises sont multiples et pas spécifiques aux restaurants de dim sum. Certains se perdent avec le temps mais les hongkongais restent très à cheval sur le respect de ces règles. Sans chercher à être complet, je vous propose d’énumérer celles qui me paraissent les plus utiles dans notre contexte.

Ne pas se servir avec ses baguettes mais seulement avec les couverts et baguettes prévus spécifiquement pour le service.
Proposer de servir ses voisins avant de se servir soi-même.
Ne pas cibler de loin avec ses baguettes un dim sum en particulier parce qu’il parait plus appétissant. Il faut donner l’impression de faire son choix au hasard.
Ne pas mélanger de sauce avec le riz blanc qui accompagne la dégustation des dim sum. Le riz blanc est là pour se nettoyer le palais. Sa relative fadeur est ici une qualité et se doit d’être respectée.
Systématiquement finir son bol de riz. Le gâcher reste encore assez mal vu de nos jours.
Manger à sa faim mais ne pas se goinfrer ou donner l’impression de faire d’excès.
Savoir demander l’addition

Après avoir fait bonne pitance, viendra l’heure de régler la note. Levez la main et adressez vous à un serveur avec un simple « 埋單 Maai Daan » (prononcez « Maï Dan »). L’addition vous sera aussitôt remise.

Pour la petite histoire, cette formule de « 埋單 Maai Daan » est sujette à de nombreuses spéculations sémantiques. Signifiant littéralement « Enterrer la note », l’expression semble dater du siècle dernier à une époque où restaurateurs et clients s’arrangeaient pour ne pas s’acquitter d’une nouvelle taxe mise en place par le gouvernement. D’autres explications plus imagées sont évoquées mais elles me paraissent un peu trop alambiquées pour être crédibles. Toujours est-il que cette formule joue sur l’homophonie être les caractères « 埋 Maai Enterrer » et « 買 Maai Payer ». Une fois n’est pas coutume, cette manière de demander l’addition a dépassé les frontières de Hong Kong et du Guangdong. Elle est aussi largement usitée en Chine continentale. Les cas d’influence linguistique dans ce sens étant tellement peu habituels que je me permets de le souligner.

26 octobre 2017

Le Chef Tanaka, l'adresse à connaitre

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka, effet waouh garanti !
Plus d’un an déjà que le japonais Atsushi Tanaka a investi la capitale en ouvrant avec fracas son restaurant éponyme. Formé à l’école Pierre Gagnaire, le Chef trentenaire a écumé quelques-uns des plus audacieux établissements d’Europe avant de lancer sa propre affaire. Alors que le restaurant A.T fait de nouveau l’actualité grâce à l’ouverture d’un bar à vins en sous-sol, j’ai profité de la relative sérénité estivale à Paris pour y organiser un amical déjeuner.

Premières Impressions :

À deux pas des bords de Seine et en face de l’île Saint Louis, le Restaurant A.T possède un emplacement idéal pour attirer les touristes. Un atout qu’il ne met pas forcément en avant tellement sa devanture est impersonnelle. L’intérieur est aussi décevant. Autant je lui accordais une certaine singularité aux débuts, autant, un an après, force est de constater qu’il a très mal vieilli. La peinture est défraîchie et l’environnement plutôt austère. Heureusement, le personnel est d’une courtoisie rafraîchissante. Le service est millimétré, les conseils avisés et la carte parfaitement maîtrisée. Un sans-faute ponctué par un passage discret mais bienveillant du Chef en salle.

La Carte :

Le Restaurant A.T ne déroge pas au nombrilisme ambiant. Les plats sont imposés au déjeuner comme au dîner. Il faut se faire une raison, le Chefs ont pris le dessus. Les clients ne sont plus que des nouveaux nés dociles à qui l’on tend des cuillères de compote par-ci et de purée par-là. La haute cuisine s’engouffre dans cette même logique d’infantilisation des consommateurs qui a fait tant de dégâts lorsqu’elle a été appliquée par la grande distribution. Pas sûr que la gastronomie française en sorte grandie.

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Ceci étant dit, le programme concocté par le Chef Atsushi Tanaka reste tout à fait engageant. Énoncés énigmatiques et directs, produits de saison, associations originales, ingrédients fétiches du Chef, ce menu est plein de belles promesses. Au déjeuner, le meilleur choix est la formule à 55 € en 7 étapes. Celle à 35 € me parait un peu frugale et celle à 95 € plus adaptée pour le dîner. C’est d’ailleurs la seule disponible le soir.

Les plus vigilants auront noté une augmentation des tarifs. Technique pour assurer un meilleur lancement, volonté sincère de monter en gamme, simple conséquence inflationniste, difficile à dire. Toujours est-il que cela devient une triste habitude à Paris et que, plus que jamais, il convient de réfléchir à deux fois avant de ponctionner ses économies pour sortir manger.

Le Repas :

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Indéboulonnable amuse-bouche du restaurant, ces Chips de Charbon à la poudre de bambou relèvent davantage de l’exercice de style que de la sensation culinaire. « La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile. » écrivait Brillat-Savarin. En l’espèce, même la nouvelle exoplanète identifiée durant l’été m’aura mis plus en joie.

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Cet autre amuse-bouche est d’un tout autre intérêt. Sous ce sobre intitulé Poireau / Beurre Noisette se cache une préparation minutieuse d’une rare suavité. Le goût prononcé de la betterave et la texture filandreuse du poireau surprennent avant que la douceur délicate du beurre noisette nous rattrape en fin de bouche. Là, j’ai le sourire !

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

On change de registre avec ces Moules / Gaspacho qui vous retournent littéralement le palais. L’assaisonnement du Gaspacho emporte tout sur son passage. De la vivacité, une fraîcheur accentuée par quelques fleurs de fenouil, l’empreinte en bouche est semblable à celle d’une rasade d’un vin tendu gorgé de soleil.

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

En supplément (10 €), le Chef propose cette assiette de Foie gras / Poivre long / Meringue. La fine carapace de meringue déstructurée est, malgré les apparences, parfumée aux agrumes. Dessous sont dissimulés quelques dés de foie gras recouverts de poivre de Jamaïque et un coulis à la bergamote. La création pourrait paraître superficielle mais c’est en réalité tout le contraire. Les goûts sont marqués, les textures multiples et l’association fonctionne à merveille.

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Même esprit avec cet Omble chevalier / Genièvre / Persil. Le produit principal joue à cache cache pour mieux susciter l’étonnement. L’association me semble moins heureuse et l’on pourrait se passer de la poudre glacée de fromage blanc fumé qui se liquéfie rapidement sous l’effet de la chaleur. Pour autant, le poisson est remarquablement cuit et le jus de persil est tout bonnement épatant.

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Ce Merlu / Courgettes / Bulots est plus consensuel. La composition est léchée avec un bouillon à l’accent floral servi directement en salle. Le merlu présente sa chair la plus fine et les discrets accompagnements le subliment sans jamais lui voler la vedette.

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

C’est une bien douillette Focaccia maison qui remplace le pain dans cette honorable maison. Gourmand, j’aurais apprécié qu’elle soit servie dès le début du repas et en plus grande quantité.

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Enfin un peu de bidoche avec ce Bœuf / Chou-rave / Romarin. La viande légèrement fumée ne brille pas par sa tendreté. Elle résiste à la découpe et sa mâche n’est pas aisée mais le goût est là. Un goût de viande boosté par un puissant et onctueux jus de bœuf au romarin. Les petits oignons à peine brûlés, les pickels de chou rave, la purée outrageusement soyeuse, la poudre d’arachide, c’est juste très bon !

Restaurant A.T by Atsushi Tanaka Paris

Notre excellent déjeuner se termine avec ces Cerises / Hinoki / Poivre des Cîmes. La composition est gourmande et originale. La cerise est omniprésente et déclinée en de multiples façons. Le poivre des cîmes apporte une petite touche citronnée très appréciable. Difficile en revanche de déceler la saveur du cyprès japonais. Pressé, j’ai englouti mon assiette bien trop vite pour m’en rendre compte. D’ailleurs, prévoyez large en venant chez A.T car l’expérience mérite que l’on y prenne son temps.

Bilan :

Faut il y aller ? La cuisine du Chef Atsushi Tanaka a gagné en consistance et en incisivité depuis l’ouverture tonitruante du restaurant. Chaque plat fait l’objet d’un travail d’orfèvre qui saura charmer les plus réfractaires à ce style d’endroit. Il y a une indéniable singularité de cuisine avec des produits récurrents et des dressages créatifs. Il n’est pas déraisonnable de penser que le restaurant A.T sera prochainement distingué par le Michelin. C’est donc le bon moment pour vous y rendre !

Avec qui ? Un camarade habitué au ronronnement des prestigieuses tables multi-étoilées.

Y retourner ? C’est le problème avec ces adresses qui font dans la mise en scène culinaire. Je n’ai pas toujours envie d’y retourner. Les tours de passe-passe sont mis au jour, l’effet de surprise est dissipé et les plats pas si souvent renouvelés. Je veux bien revenir mais il me faut pouvoir commander mes plats préférés en plus grande portion à la carte.

La clientèle ? Avec sa cuisine, le Chef Atsushi Tanaka est en plein dans l’air du temps et profite d’une presse avide de cette cuisine photogénique. La clientèle curieuse, aguichée par des opérations de communication bien senties, vient autant de Paris que de l’autre bout du monde. Ce jour-là bon nombre de touristes étaient chinois et japonais.

C’est cher ? Malgré la hausse des prix, j’ai eu le sentiment de faire une bonne affaire. 55 € pour cette jolie expérience, le compte y est. Le soir, la douloureuse est moins facile à encaisser. Le style forcément clivant m’amène à dire qu’une première visite au déjeuner est plus raisonnable.

26 octobre 2017

La sauce XO, délice de hong kong

La Sauce XO, le plus mystérieux des condiments hongkongais
La Sauce XO a toujours été entourée d’un voile de mystère. Son nom d’abord. Un adolescent y verrait une sauce coquine à servir pour un dîner de Saint-Valentin tandis qu’un amateur de liqueurs l’imaginerait alcoolisée ou flambée. Son goût ensuite. Bien affûté du palais celui capable d’en deviner la composition après un premier coup de baguettes. Son origine enfin. Avec une notoriété aussi impressionnante, d’aucuns parieraient sur un passé impérial et l’illustreraient d’une brumeuse histoire d’Empereur reconverti en cuisinier du dimanche. La réalité est quelque peu différente. Tentons ensemble de percer tous les secrets de cette si énigmatique Sauce XO.

Une origine pas si lointaine

PeninsulaLa fulgurante ascension de la sauce XO trouve sa source à Hong Kong derrière les fourneaux de l’hôtel Peninsula en 1986, il y a tout juste 30 ans. S’apprêtant à ouvrir les portes d’un nouveau restaurant de cuisine cantonaise baptisé Spring Moon 嘉麟楼 Gaa Leon Lau, l’hôtel s’offre les services du déjà illustre Taam Sek Wing 談錫永 (aussi connu sous son nom d’auteur Wong Ting Zi 王亭之).Taam Sek Wing 談錫永 L’homme, toujours bien portant après 81 printemps, est une figure majeure du bouddhisme en Chine et sur le continent américain. Intellectuel, écrivain, poète, peintre, traducteur, calligraphe, maître feng shui, éditeur, cet érudit touche-à-tout est également fin gourmet à ses heures perdues. À vrai dire, il a fait du savoir manger un thème essentiel de son oeuvre littéraire.

Au fastueux hôtel de la baie de Kowloon, le maître avait pour mission de concocter un met haut de gamme qui deviendrait la signature du nouvel établissement. Pas question pour autant d’utiliser les mêmes ficelles que la concurrence. Ormeaux, ailerons de requins, nid d’hirondelles, concombres de mer et autres vessies de poisson déjà omniprésents sur les grandes tables de la ville ne pouvaient faire partie de l’équation. S’inspirant des condiments épicés du sud-est asiatique comme le sambal belacan malaisien et la sauce satay 沙茶醬 chinoise, Maître Taam Sek Wing a imaginé une curieuse mixture associant produits de la terre et de la mer.

Les deux piliers de la recette sont en effet le pétoncle séché 乾瑤柱 Gon Jiu Cyu et le jambon du Yúnnán 云腿 yún tuǐ. Finement émincés, ils développent une puissance aromatique sans pareille. Des crevettes séchées et des œufs de crevettes sont là ensuite pour accentuer le côté iodé et apporter de la finesse. Du piment rouge, de l’échalote et de l’ail amènent enfin ce qu’il faut de piquant. L’ensemble est odorant, gras, fondant, huileux, mordant, relevé. Bref, diabolique !

Sauce XO Hong Kong

Sauce XO Mrs So’s 蘇太名醬

Même si le pétoncle séché et le jambon du Yúnnán étaient déjà des produits nobles du terroir chinois, la recette manquait encore d’attrait pour répondre aux ambitions du palace. L’idée fût ainsi avancée de la nommer Sauce XO (XO醬) en référence à l’appellation commerciale ayant cours dans le monde du Cognac pour désigner une eau-de-vie vieillie un minimum de six années (XO pour eXtra gOld). La boisson charentaise étant très appréciée des hongkongais fortunés de l’époque, la réutilisation de cette appellation leur a semblé parfaitement adapté. La mayonnaise a pris puisque le mot XO est devenu un adjectif générique couramment employé pour mettre en avant le caractère prestigieux d’un objet ou d’un plat.

Une recette secrète mais largement copiée

À Hong Kong, le sport national entre les restaurants est de copier sans vergogne les recettes en vogue des voisins. Celle de la Sauce XO, bien que longtemps couverte par le secret professionnel, n’a pas échappé au phénomène. Très vite le condiment star s’est retrouvé sur tous les menus des établissements de standing renvoyant une image de luxe aux clients.

Sauce XO Hong Kong
Nouilles sautées aux oignons et Sauce XO (Shanghai Min 小南國)

La Chef sino-américaine Eileen Yin-Fei Lo raconte sa découverte de la Sauce XO en ces termes : « One of the most recent exercises in restaurant mystery surfaced in Hong Kong less than a decade ago, when small dishes of a spicy, pungent, oily paste that had been placed on restaurant tables for years began to attain culinary status and to attract attention. It was called XO Sauce. […] It was delicious : salty, hot, and tasting chiles, dried seefood and cured ham. When I asked the captain what it was, he said simply, That’s the Chef’s secret ».

Du fait de la dimension énigmatique qu’elle véhiculait, la Sauce XO est devenue un moyen d’expression pour les cuisiniers dans une gastronomie cantonaise encore très traditionaliste. À mesure qu’ils cherchaient à la reproduire, les Chefs se la sont appropriée. Chacun ajoutait sa touche personnelle ou adaptait la proportion des ingrédients clés si bien que chaque sauce XO était différente comme pour marquer des identités singulières de cuisine. De là à dire que la sauce XO a été l’un des premiers signes de l’émergence de la cuisine cantonaise d’auteur, il n’y a qu’un pas.

Le sourcing des produits a également été un moyen de se distinguer. Des pétoncles de gros calibre en provenance directe d’Hokkaidō, au mythique jambon de Jīnhuá sélectionné chez les meilleurs producteurs de la province du Zhèjiāng, rien n’a jamais été trop beau pour magnifier la Sauce XO. On lui autorise tous les excès et toutes les extravagances au point de confiner parfois à l’élitiste culinaire le plus grotesque.

Une Sauce XO popularisée par le géant Lee Kum Kee

Lee Kum Kee Pendant plusieurs années, la Sauce XO a été réservée à une classe privilégiée. Certains Chefs proposaient bien de la précieuse sauce en vente à emporter mais elle restait inabordable pour le commun des mortels. Tout change en 1992 lorsque Lee Kum Kee 李錦記, le géant hongkongais de l’agroalimentaire et spécialiste historique de la sauce huître, se décide à commercialiser sa propre version de la sauce XO et à inonder la planète entière. Le succès est sans précédent.

Lee Kum Kee Sauce XO Hong KongSurfant sur l’image de luxe de la sauce, les ventes vont au delà de tout ce que la marque avait pu imaginer. Elle exploite le filon au maximum et diversifie son offre avec des versions quelque peu saugrenues aux ormeaux, à l’huile d’olive ou à la truffe. Pour autant, le contenu du bocal n’est pas toujours glorieux. Oubliés les gros pétoncles japonais 扇貝 Sin Bui, leur sauce se contente assurément d’un modeste bivalve comme le 江珧 Gong Jiu. De même pour le jambon. Il demeure chinois, mais certainement pas séché dans les règles de l’art dans les faubourgs de Xuānwēi. Les œufs de crevettes ont disparu et ne parlons pas des additifs et autres exhausteurs de goût ajoutés pour booster les saveurs des acides aminés en principe intrinsèquement présents lorsque les produits sont respectables. Le rêve d’une sauce XO à petit prix et accessible à tous implique visiblement quelques menus renoncements… Ceci étant dit, leur sauce XO est encore ce que l’on trouve de mieux en France.

Une Sauce XO aux multiples usages

L’invention de cette sauce XO relève à mon sens du génie culinaire. Elle synthétise à elle seule une partie de l’esprit de la cuisine cantonaise. La simplicité et la rusticité des ingrédients, la complexité et la puissance des saveurs ou encore le soin et le raffinement des préparations. Certains vont même jusqu’à dire qu’elle constitue la quintessence de la cuisine cantonaise.

Dim Sum à Hong Kong

Siu Maai au Porc et au Homard avec une Sauce XO à la truffe (Kwan Cheuk Heen 君綽軒)

La traduction en français du caractère 醬 zoeng par sauce est confusante. Elle renvoie à une préparation plus ou moins liquide et homogène ayant vocation à accompagner un ingrédient principal. Ce n’est pas vraiment le cas de la Sauce XO. Les termes de pâte voire de confit seraient plus appropriés. Pour s’en convaincre, rappelons que le Spring Moon a commencé par s’en servir comme condiment pour agrémenter la dégustation des Dim Sum. Les clients l’utilisaient à leur convenance pour pimenter leurs bouchées au même titre qu’une classique huile pimentée 辣椒油 Laat Ziu Jau.

Les anglosaxons désignent régulièrement la sauce XO comme le Caviar de l’Orient. La formule est spectaculaire mais n’est pas sans fondement. L’usage fait de la sauce XO a évolué au point d’être semblable à celui du caviar ou de la truffe dans la cuisine française. Certains Chefs osent la proposer en supplément d’un plat. Elle vient le parfaire comme une cerise sur un gâteau. D’un point de vue gustatif, elle le transporte directement dans une autre galaxie.

Sauce XO Hong Kong
Nouilles Taïwanaises à la Sauce XO

Les Chefs Dim Sum la dispersent élégamment sur un rustique Gâteau de radis 蘿蔔糕 Lo Baak Gou comme sur un délicat Ravioli à la crevette 蝦餃 Haa Gaau. Son association avec toutes sortes de fruits de mer est d’ailleurs évidente. Frankie Tang, le Chef actuel du Spring Moon, la sert avec des pétoncles sautés ou des ormeaux. Au fantastique restaurant Yan Toh Heen, elle trouve sa place au milieu d’une salade Lo Hei haute couture et au sommet d’un concombre de mer croustillant. Le Chef du Sun Tung Lok la fait revenir au wok avec des grosses crevettes japonaises de Kyushu. Et n’oublions pas les fameuses Nouilles E-Fu sautées au Homard et à la Sauce XO, un plat incontournable des restaurants de fruits de mer à Hong Kong.

Par nature, la Sauce XO est mariée à des ingrédients nobles et onéreux. Mais de plus en plus de Chefs jouent le contre-pied et l’accommodent avec un modeste tofu, des nouilles, des rouleaux de riz, des champignons, des pousses de bambous, des aubergines ou encore de simples légumes verts. Sans compter qu’avec sa démocratisation, la Sauce XO ne trouve maintenant plus aucune limite dans ses usages. Elle a l’avantage de donner du goût à n’importe quoi. Quelques bricoles sautées au wok ou cuites à la vapeur, une cuillère de sauce XO et le tour est joué. Un conseil entre nous. Mieux vaut raréfier sa consommation et privilégier la qualité.

Ultra-répandue, la Sauce XO aurait pu devenir ringarde. Ce n’est manifestement pas le cas tant la nouvelle garde de la cuisine cantonaise aime à la disséminer dans ses créations. Au hasard, le Chef Dan Hong la sert avec du Canard rôti et un œuf poché. En Australie, le jeune Adam Liaw a remporté le Masterchef local en cuisinant le condiment à toutes les sauces. Quant au Chef Jowett Yu du restaurant Ho Lee Fook, il l’associe à des calmars et à des graines de courge. Même des Chefs occidentaux s’y frottent. La sauce XO n’a pas fini de faire parler d’elle.

Sauce XO à la maison

Sans chercher à égaler les réalisations des spécialistes en la matière, il est tout à fait possible de cuisiner sa propre sauce XO à la maison. La difficulté principale réside dans l’approvisionnement en produits de qualité. Après, tout est affaire de proportion, de découpe et de cuisson !

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